Quand les néo-nazis allemands veulent se faire justice eux-mêmes

Ils patrouillent dans les trains et dans les quartiers de Berlin pour créer des “zones de protection”. La nouvelle campagne du parti néo-nazi NPD, qui veut lancer ces milices partout en Allemagne, fait débat.

Dans un tramway patrouillent cinq hommes au regard déterminé, larges d’épaules, sur leurs gilets oranges la lettre S qui rappelle un peu trop celle sur la poitrine de Superman. En fond sonore, une musique épique et puis des phrases comme celles-ci : “L’État n’utilise pas assez son monopole du pouvoir pour protéger nos compatriotes. […] Beaucoup d’Allemands se sentent étrangers dans leur propre pays et pas en sécurité dans les lieux publics. […] Il est temps que nous, les Allemands, nous nous aidions nous-mêmes, particulièrement là, où l’État échoue. C’est pour ça que nous avons lancé la campagne participative des zones de protection !”

Avec cette vidéo de présentation de trois minutes, le parti néo-nazi NPD appelle les Allemands à créer de telles zones “sûres” partout dans le pays - avec des milices œuvrant en marge de l’État de droit, ce qui rappelle l’action du groupe d’extrême-droite français Génération identitaire qui a voulu empêcher des réfugiés de traverser la frontière dans les Alpes françaises en avril dernier.

L’opération « Defend Europe » avait symboliquement fermé le col de l’Echelle aux migrants en avril 2018.

« Défendre femmes et enfants »

Les cinq hommes mis en scène comme des héros dans la vidéo appartiennent à la fraction berlinoise du NPD, qui doit “montrer l’exemple”. Il s’agit de membres élus et connus, comme le vice-président du parti Ronny Zasowk ou encore l’ancien président la section berlinoise Sebastian Schmidtke. Leur système de “défense citoyenne” (Bürgerwehr) se concentre sur les “hotspots de la criminalité”, quartiers et transports publics de Berlin, pour “défendre femmes et enfants”.
Contre quoi ? Les attaques au couteau et agressions sexuelles qui surviendraient “tous les jours” à Berlin d’après Christian Schmidt, membre berlinois du NPD. Les délinquants seraient “le plus souvent d’origine étrangère”. En vérité, seul 5,8% des délinquants présumés sont immigrés.

La police réagit: « Inacceptable de se faire justice soi-même »

Sur le site internet dédié à la campagne, le parti propose plusieurs manières de créer des « zones sûres », les unes plus douteuses que les autres, comme la mise en place d’une chaîne téléphonique pour rassembler une troupe de citoyens lors d’un cambriolage - le recours à la police n’est pas prévu dans le plan.
Le NPD justifie ses interventions par la légitime défense et le “droit d’arrestation de chacun” (Jedermann-Festnahmerecht), qui donne à tout un chacun le droit de retenir un agresseur… jusqu’à l’arrivée de la police seulement.

La police berlinoise a rappelé la législation sur Twitter : “Nous soutenons le courage civil et les citoyens attentifs, qui informent la police en cas de danger. Mais nous rejetons les structures de milices.” Et un porte-parole de la police fédérale de renchérir : “Le monopole de pouvoir revient à l’État. Se faire justice soi-même est inacceptable.”
La vidéo est désormais analysée par la police pour infractions au droit pénal et civil. Elle dérange également la Deutsche Bahn, qui n’a pas accordé de permission de tournage et s’oppose farouchement aux valeurs du NPD. L’entreprise ferroviaire a souligné qu’elle emploie elle-même 750 agents de sécurité, qui “protègent tous les passagers, indépendamment de leur origine”.

Un coup de com’ ?

Pour le moment, la police n’a pas pu observer d’elle-même une patrouille du NPD, ce qui laisse planer le doute sur l’ampleur de l’opération : il n’est pas confirmé qu’il y ait réellement eu d’autres interventions de la milice que celle mise en scène dans la vidéo. Mais il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux pour voir que la campagne n’est pas vaine : si l’on en croit à cette publication d’un membre du parti, une petite troupe était encore en action vendredi dernier.

Le NPD se place dans la lignée du parti de Hitler, le NSDAP. Il a fait l’objet de deux procédures d’interdiction pour anti-constitutionnalité. S’il existe encore aujourd’hui, c’est seulement parce que les 0,4% qu’il obtient lors des élections fédérales ne sont pas (encore) jugés dangereux pour la démocratie allemande.

Source : https://blog.francetvinfo.fr