Des secrétaires payées 6.000 euros net, des agents d’accueil qui émargent à 4.800 ou encore un gardien à 4.200 euros… Les salaires des fonctionnaires de l’Assemblée Nationale ont atteint des sommets incompréhensibles alors que les députés ont accepté de rogner sur leurs avantages.
C’est un quinqua au regard fatigué et à la voix lente qui nous donne rendez-vous dans un café proche de l’Assemblée nationale. « Je suis placardisé depuis des mois, alors que j’ai travaillé le soir et le week-end durant des années, confie ce haut fonctionnaire au service des députés depuis plusieurs décennies. Mais, vu mon niveau de salaire, je n’ai pas le droit de me plaindre. » Cet administrateur, aujourd’hui refoulé dans une soupente du Palais-Bourbon, aura en effet du mal à inspirer de la pitié. Pour un travail qui, de son propre aveu, « pourrait être réalisé par un stagiaire de master 2 », il touche 13.000 euros net par mois. Un niveau qui le classe d’emblée dans le 1% des Français aux plus hauts revenus
Secrétaire à 6.000 euros net
S’ils ne sont heureusement pas tous placardisés, les 1.278 fonctionnaires et contractuels de l’Assemblée jouissent d’une rémunération hors normes. Les nouveaux députés en sont encore abasourdis. « Les trois quarts des fonctionnaires qui nous entourent gagnent plus que nous (5.700 euros mensuels par député), s’amuse Marc Fesneau, le chef de file des élus du Modem. Avouez que c’est un problème ! » Jusque très récemment, la grille des salaires des fonctionnaires du Palais-Bourbon était l’un des secrets les mieux gardés de la République. Avant que les députés Florian Bachelier (LREM) et Philippe Vigier (UDI), chargés de gérer et de contrôler les 550 millions d’euros de dépenses annuelles, ne brisent l’omerta, en janvier.
Les sommes ultra-élevées expliquent certaines pudeurs. En haut de la pyramide, les deux secrétaires généraux émargent à quelque 19.000 euros net par mois, et les 19 grands directeurs perçoivent tous plus de 16.000 euros. A titre de comparaison, le vice-président du Conseil d’Etat, surnommé « le plus haut fonctionnaire de France », touche 16 000 euros et le président Macron ne gagne « que » 13.880 euros mensuels.
Les fonctionnaires de base sont aussi choyés. Les secrétaires perçoivent, en moyenne, près de 6 000 euros net par mois et les agents (accueil, logistique) environ 4.800 euros. Soit des émoluments 2,5 fois plus élevés que leurs homologues de la fonction publique d’Etat. Après dix ans de carrière, un employé du restaurant ou un gardien tourne à 4.200 euros, autant que le salaire moyen des cadres du privé toutes catégories confondues. Tandis que les rédacteurs des comptes-rendus de débats, véritables sténos de luxe, évoluent entre 5 200 et 14.000 euros !
« Tous ces fonctionnaires ont réussi des concours ultrasélectifs ouverts à tous, défend Florian Bachelier. Ces rémunérations permettent aux députés de disposer de collaborateurs de très grande qualité qui œuvrent au bon fonctionnement de la démocratie. »
Mille-feuille de primes
Ces salaires mirobolants sont aussi liés à la multitude de primes, qui se sont empilées au fil de l’histoire. Indemnité de résidence, de direction, dégressive Pas moins de treize sortes de primes coexistent. Avec quelques perles comme l’indemnité de doctorat, pour les titulaires d’une thèse. Ou celle qui gratifie de 375 euros mensuels les chauffeurs de « personnalités politiques ». « Ces primes n’ont rien d’incongru, plaide un conseiller du président de l’Assemblée. La plupart rémunèrent des conditions de travail atypiques qui suivent le rythme des séances et des députés. » Lorsque les débats se poursuivent tard dans la nuit ou le week-end, les huissiers se doivent d’être présents dans l’hémicycle, les agents en congés peuvent être rappelés et les rédacteurs sont tenus de boucler leur compte-rendu dans les heures qui suivent.
Il n’empêche, ces astreintes sont largement compensées. En plus des primes, les fonctionnaires obtiennent des « autorisations d’absence » jusqu’à vingt-cinq jours qui s’ajoutent à leurs cinq semaines de vacances. « A l’Assemblée comme ailleurs, il y a des stakhanovistes et des tire-au-flanc, balaie un fonctionnaire. Certains s’en sortent avec dix semaines de congé sans effectuer des horaires harassants. » Le 11 mai 2017, les deux secrétaires généraux s’étaient d’ailleurs fendus d’une note à tous les services rappelant que la durée de travail minimale était de 1.607 heures par an (soit 35 heures hebdomadaires). Depuis, ils réfléchissent à l’installation de pointeuses
A côté des généreuses rémunérations, les fonctionnaires de l’Assemblée cumulent d’autres avantages. Onze chanceux profitent d’un logement de fonction au cœur du très chic VIIe arrondissement de Paris : le secrétaire général jouit d’un superbe 181-mètres carrés au deuxième étage du Petit Hôtel, juste en dessous des 107 mètres carrés alloués au chef du département électrique. Quelques rues plus loin, au 235, boulevard Saint-Germain, le médecin de l’Assemblée prend ses aises dans 201 mètres carrés.
Changements modestes
Par ailleurs, le régime de retraite est plus que confortable, avec une pension égale à la moitié de l’enviable salaire de fin de carrière. Un administrateur peut compter sur 7.000 euros mensuels pour ses vieux jours, une secrétaire sur 3.500 euros et un chef d’agents sur 2.900 euros. A comparer à la pension moyenne des Français, à 1.300 euros Surtout, après quinze ans de maison, tout fonctionnaire peut partir à la retraite et toucher une pension proportionnelle à ses années de cotisations. Tout en cumulant les revenus d’un nouveau job.
Salaires, logements, retraites Ces privilèges sont-ils immuables ? En janvier, François de Rugy, alors encore président de l’Assemblée nationale, promettait « une ambitieuse démarche de transformation ». Las, les changements annoncés cet été paraissent bien modestes. « Nous avons obtenu des garanties sur des sujets majeurs », se réjouit déjà la section interne de Force ouvrière. Le système de rémunération reste quasi intact pour les fonctionnaires en place. Seule une prime pesant moins de 2,5 % du salaire de 500 fonctionnaires pourrait être supprimée. La discussion pourrait se tendre à l’aune de la présentation du budget 2019. Car d’après Le Parisien, l’Assemblée nationale devra puiser dans ses réserves près de 47 millions d’euros l’an prochain (sur un total de 318 millions) pour l’équilibrer.
Quant aux fonctionnaires recrutés dans les années à venir, la présidence de l’Assemblée suggère d’aligner leur rémunération sur celles des fonctionnaires d’Etat. Problème : la mesure se heurte au « principe d’égalité des fonctionnaires d’un même corps », et a toutes les chances d’être retoquée par le Conseil d’Etat. Les privilégiés de l’Assemblée ont encore de beaux jours devant eux.
178 millions d’euros de masse salariale.
1 278 fonctionnaires, dont 184 contractuels.
54 rédacteurs des comptes-rendus de débats.
39 chauffeurs.
63 employés des restaurants.
53 gardiens.
90 agents pour l’accueil et la préparation des salles.
66 informaticiens.
A l’exact opposé des fonctionnaires de l’Assemblée, les députés ont renoncé à toute une série d’avantages depuis un an. Fini, le régime spécial de retraites, les généreuses allocations chômage ou la gratuité du train pour les ex-députés. Les élus de l’actuelle législature vont percevoir une pension 37 % inférieure à celle de leurs aînés, et ne seront pas mieux lotis que n’importe quel salarié du privé s’ils se retrouvent au chômage. Au total, cela représentera une économie de quelque 12 millions d’euros par an pour le budget de l’Assemblée.
Concernant l’enveloppe de 5 373 euros mensuels pour leurs frais de mandat, les députés sont tenus de la gérer de manière plus transparente. Depuis janvier, ils doivent conserver l’ensemble de leurs factures et se soumettre aux contrôles aléatoires de la déontologue. Seul défaut, cette dernière n’a les moyens de contrôler que 120 députés par an sur les 577, et a elle-même reconnu qu’il s’agirait d’une « vérification comptable partielle et imparfaite ».
Source : msn.com