L’homme qui a détourné 385 millions d’euros à l’État français

« Gad » Chetrit vient d’être condamné à huit ans de prison dans une escroquerie qui a coûté 385 millions d’euros au fisc.

A 48 ans, Gérard Chetrit, alias « Gad », est peut-être l’un des plus grands braqueurs en col blanc de tous les temps. Ce Marseillais, longtemps installé en Israël, aurait orchestré une gigantesque fraude fiscale sur le marché européen des droits à polluer, privant l’Etat de 385 millions d’euros de TVA. Ce hold-up lui aurait permis d’amasser une fortune estimée à 100 millions de dollars (85 millions d’euros). Dont un luxueux appartement dans l’une des tours Yoo de Tel-Aviv, un sublime yacht de 34 mètres, le Black and White, acheté 7,5 millions d’euros, et l’une des voitures les plus chères du monde, la très sportive Pagani Huayra.

Jugé au début de l’année, à Paris, aux côtés de 35 complices dans le dossier dit du « carbone marseillais », Gad Chétrit vient d’écoper d’une lourde condamnation, prononcée le mercredi 23 mai par le tribunal correctionnel : huit ans de prison et 10 millions d’euros d’amende. C’est à l’isolement, dans une cellule de la maison d’arrêt de Meaux (Seine-et-Marne), qu’il a pris connaissance de ce jugement. « Tous les prévenus le pensent riche, ce qui le met en danger, explique à L’Express son avocat Erick Campana. Voilà pourquoi il est à l’isolement. »

Jusque-là, pourtant, l’homme n’avait pas défrayé la chronique policière. Ni judiciaire : à son casier ne figurent qu’une vieille condamnation pour fraude fiscale et deux autres pour conduite en état d’ivresse. Ce natif d’Haïfa, en Israël, qui a grandi à Marseille, a quitté sa première épouse et la cité phocéenne en 2005 pour retourner en Terre sainte. Il est alors à la tête de la société Henning, basée sur l’île de Man, qui vend des téléphones en gros.

Trahi par sa voix

La deuxième vie de Chetrit débute sous d’heureux auspices. Il convole en secondes noces avec Natalie Vanono, la fille d’un riche entrepreneur israélien. Et se lance dans un nouveau business, bien plus lucratif que la téléphonie : une variante de la fraude à la TVA, cette arnaque éculée qui consiste à acquérir un bien à l’étranger, hors taxes, puis à le céder en France, taxes comprises cette fois, mais sans reverser la TVA au fisc. Appliquée aux tonnes de CO2 qui s’échangent depuis 2005 dans l’Union européenne sous forme de droits à polluer, cette martingale offre donc un rendement de 19,6% (le montant de la TVA jusqu’en 2014). Qui dit mieux ? D’autant que l’opération peut être répétée moult fois.

C’est sa voix qui a causé la perte de Gad. Sur un enregistrement d’ordres d’achats et de ventes passés auprès du courtier Orbéo. Et sur les écoutes téléphoniques. Chetrit est très bavard. Obsédé par l’enquête confiée au Service national de douane judiciaire, il fait chauffer ses quatre lignes (une anglaise et trois israéliennes) pour se tenir informé. Et tenter, avec ses complices, d’entraver le travail de la justice.

Il appelle souvent la Corso-Marseillaise Christiane Melgrani, alias « la marraine du Panier », une ancienne prof de maths au coeur de cette arnaque au CO2. « Dans le cadre de ses conversations avec (elle), Gad Chetrit confirmait son implication dans les opérations de trade de droits carbone jusqu’en mars 2009 », pointe l’ordonnance de renvoi devant le tribunal, que L’Express a consultée. Surtout, « il exposait ses craintes que sa voix soit reconnue sur les enregistrements Orbéo ». Il est prêt à payer un million d’euros à Melgrani si elle parvient à les faire disparaître, comme elle s’y propose.

Une centaine de comptes en banque

Son train de vie « dispendieux » ébahit les enquêteurs. De retour en Europe avec sa femme et leurs trois enfants, il vit à Monaco, dans un luxueux appartement dont le loyer mensuel s’élève à 44 000 euros. La PME Chetrit rémunère une quinzaine de personnes : quatre employés de maison et six baby-sitters, ainsi que plusieurs sbires chargés d’aider Gad à gérer son business. Comme son frère Robert, payé 10 000 euros par mois. Chétrit entretient aussi sa maîtresse Nargysa, installée à Dubaï avec leur fils.

Sur le Rocher, Gad se lève en début d’après-midi, s’ennuie ferme et boit sec. Sa femme Natalie affirme ne jamais l’avoir vu travailler. Il préfère voyager, de Tel-Aviv à Londres ou Los Angeles. Parfois, il prend ses quartiers dans un palace monégasque, le Monte-Carlo Bay ou le Fairmont, sous un faux nom. Son patrimoine immobilier et mobilier lui permet toutes les folies. Outre son appartement de la tour Yoo évalué entre 15 et 20 millions d’euros, ses nombreuses voitures de luxe et son yacht, il possède une villa en Israël estimée à 4,4 millions. Il est également l’ayant droit d’une centaine de comptes bancaires, crédités de plus de 80 millions d’euros au total, à Hong-Kong, Singapour et Guernesey, en Suisse, au Luxembourg et aux Bahamas. « Gérard Chetrit a gagné beaucoup d’argent avec sa société de téléphonie Henning, justifie son avocat Erick Campana. C’est un bon gestionnaire qui a réalisé beaucoup d’investissements fructueux. »

Si c’était à refaire, il le referait

Le 5 avril, Gad est arrêté chez lui, dans la Principauté monégasque. Face aux douaniers, celui qui se présente comme « financier international » reconnaît sa participation à l’arnaque au CO2. Il assure avoir été recruté comme trader par Eric Castiel, alias « Extrême-Onction », un ami d’enfance marseillais, pour le compte de mystérieux donneurs d’ordre. Il dit aussi avoir investi ses fonds personnels dans cette escroquerie, puis avoir fait fructifier ses gains en octroyant des prêts à des taux de 7 à 8%. Au total, il aurait amassé 30 à 35 millions d’euros.

Les enquêteurs, eux, sont convaincus que le duo Castiel-Chetrit dirigeait les opérations avec l’appui de Christiane Melgrani. Et que Gad aurait touché le pactole grâce au CO2. « Il a été l’un des premiers bénéficiaires de l’escroquerie », tranche l’ordonnance de renvoi devant le tribunal. L’intéressé le sait : il a perdu la partie. « On est au bout du chemin », confiait-il à l’un de ses lieutenants en décembre 2015. Et pourtant, lui assurait-il alors, si c’était à refaire, il le referait quand même…

Source : lexpress.fr